Rodin: Text
Images d’après Rodin
Poursuivre, persévérer, soulever une à une les pierres du chemin, se recueillir peut-être – les dernières images de Pierre Tremblay se concentrent sur elles-mêmes comme un poing. La série précédente témoignait d’une vitalité, d’un enchantement, jamais d’une exubérance. On était dans le bonheur du geste. L’art participait d’une alchimie recouvrée.
Si la conception technique reste la même d’une série à l’autre (prise de vue photographique traitée et recomposée sur ordinateur), la vision dont chacune rend compte évolue vers un haut niveau de densité calme et tragique. Le sujet l’impose: la statuaire de Rodin qui sert d’appui à tous les derniers travaux se réalise à travers une dramaturgie. Pierre Tremblay l’a saisie, comme il le dit lui-même, à travers les deux hémisphères de l’hermétisme et de la compassion. Son but n’est pas d’éclairer cette douleur autour de laquelle comme d’un soleil se posent les grands pans de bronze, mais peut-étre de l’individualiser, de la laisser apparaitre à fleur d’image. Diane, Adam, Bellone, Camille Claudel, autant de portraits comme si Pierre Tremblay avait décider de viser à l’oeil pour toucher au coeur. Son Eve est une revisitation de l’oeuvre de Rodin: on y sent la main qui puise et tire à soi une énergie pour recomposer l’image et sacrer à nouveau le modèle avec son adam. Il conjugue à la fois le bouillonnement de métal prêt à être versé et le poli du bronze, patiné par des pluies et la convergence des regards.
Cette énergie ne se fonde pas seulement sur la force, elle témoigne aussi d’une très grande douceur, presque d’une timidité plus proche de la personnalité de l’auteur. Le marbre de Madame Fenaille revisité par Pierre Tremblay a ceci de remarquable que l’image nous en révèle la fragilité et le suspense, d’un simple décalage comme d’un pas de danse.
Suspendue à fil d’airain ou de pierre, la série des images d’après Rodin participe d’une certaine sympathie avec l’oeuvre du Maître non sans garder la distance nécessaire à toute créativité sereine. C’est pourquoi elle nous touche, comme si à travers elle nous retrouvions au seuil d’une nouvelle apocalypse (c’est à dire d’une révélation) plutôt qu’à la porte de l’enfer.
Sylvain Desmille
portfolio Rodin
Extrait du texte LE REGARD RENVERSANT et MACHINES IMMATERIELLES IMAGES VIRTUELLES, publication réalisé pour le mois de la photo à Montréal, septembre 1993. Exposition présenté à Occurrence: Howard Gerry, Peter Sramek, Pierre Tremblay. Commissaire: Franck Michel, texte: Francine Dagenais.
L’utilisation des nouvelles technologies a transformé profondément les pratiques de l’image et a largement contribué à la re-définition de l’art. Dans le domaine de la photographie, elles métamorphosent ses formes même et modifient son rapport au réel. Un nouveau champ de création, dont il nous est difficile d’apprécier les limites s’ouvre devant nous. Notre appréhension et notre conception du réel sont en train de subir de profonds bouleversements. Les images produites par les nouvelles technologies ne collent plus à la réalité, elles s’éloignent peu à peu du monde : une fuite en avant, un glissement. Les caractéristiques de l’oeuvre sculpturale de Rodin représente un point de rupture dans l’histoire de l’art. Pierre Tremblay manipule l’imagerie à l’aide de programmes infographiques spécialisés laissant libre cours à une démarche artistique personnelle. Son travail pose que le sens d’une oeuvre d’art serait en état de glissement perpétuel. Lorsqu’on examine des reproductions d’oeuvres sculpturales, qu’il s’agisse de diapositives ou d’épreuves photographiques, il est particulièrement difficile de faire abstraction de la distance qui sépare les images des objets représentés. L’oeuvre de Tremblay met en évidence, voire même rehausse les possibilités inhérentes aux distorsions qui se glissent toujours dans une représentation indexique. Il expérimente avec la perception humaine et les transformations exponentielles de la représentation. L’image manipulée par procédé numérique ne montre pas une reproduction puisqu’elle modifie l’image causant ainsi un glissement de sens en regard de l’oeuvre originale. Tout comme Rodin, il modifie les figures jusqu’à celles-ci perdent leur cohérence anatomique.
​
Francine Dagenais